La lettre du Président de la République aux Français:
Chères Françaises, chers Français, mes chers compatriotes,
Dans une période d'interrogations et d'incertitudes comme celle que
nous traversons, nous devons nous rappeler qui nous sommes. La France
n'est pas un pays comme les autres. Le sens des injustices y est plus
vif qu'ailleurs. L'exigence d'entraide et de solidarité plus forte.
Chez nous, ceux qui travaillent financent les pensions des retraités.
Chez nous, un grand nombre de citoyens paie un impôt sur le revenu,
parfois lourd, qui réduit les inégalités. Chez nous, l'éducation, la
santé, la sécurité, la justice sont accessibles à tous indépendamment de
la situation et de la fortune. Les aléas de la vie, comme le chômage,
peuvent être surmontés, grâce à l'effort partagé par tous. C'est
pourquoi la France est, de toutes les nations, une des plus fraternelles
et des plus égalitaires.
C'est aussi une des plus libres, puisque chacun est protégé dans ses
droits et dans sa liberté d'opinion, de conscience, de croyance ou de
philosophie.
Et chaque citoyen a le droit de choisir celles et ceux qui porteront
sa voix dans la conduite du pays, dans la conception des lois, dans les
grandes décisions à prendre.
Chacun partage le destin des autres et chacun est appelé à décider du destin de tous : c'est tout cela, la Nation française.
Comment ne pas éprouver la fierté d’être Français ?
Je sais, bien sûr, que certains d’entre nous sont aujourd’hui
insatisfaits ou en colère. Parce que les impôts sont pour eux trop
élevés, les services publics trop éloignés, parce que les salaires sont
trop faibles pour que certains puissent vivre dignement du fruit de leur
travail, parce que notre pays n’offre pas les mêmes chances de réussir
selon le lieu ou la famille d’où l’on vient. Tous voudraient un pays
plus prospère et une société plus juste.
Cette ambition, je la partage. La société que nous voulons est une
société dans laquelle pour réussir on ne devrait pas avoir besoin de
relations ou de fortune, mais d’effort et de travail.
En France, mais aussi en Europe et dans le monde, non seulement une
grande inquiétude, mais aussi un grand trouble ont gagné les esprits. Il
nous faut y répondre par des idées claires.
Mais il y a pour cela une condition : n’accepter aucune forme de
violence. Je n’accepte pas la pression et l’insulte, par exemple sur les
élus du peuple, je n’accepte pas la mise en accusation générale, par
exemple des médias, des journalistes, des institutions et des
fonctionnaires. Si tout le monde agresse tout le monde, la société se
défait !
Afin que les espérances dominent les peurs, il est nécessaire et
légitime que nous nous reposions ensemble les grandes questions de notre
avenir.
C’est pourquoi j’ai proposé et je lance aujourd’hui un grand débat national qui se déroulera jusqu’au 15 mars prochain.
Depuis quelques semaines, des maires ont ouvert leurs mairies pour que
vous puissiez y exprimer vos attentes. J’ai eu de premiers retours que
j’ai pu prendre en compte. Nous allons désormais entrer dans une phase
plus ample et vous pourrez participer à des débats près de chez vous ou
vous exprimer sur internet pour faire valoir vos propositions et vos
idées. Dans l’Hexagone, outre-mer et auprès des Français résidant à
l’étranger. Dans les villages, les bourgs, les quartiers, à l’initiative
des maires, des élus, des responsables associatifs, ou de simples
citoyens… Dans les assemblées parlementaires comme régionales ou
départementales.
Les maires auront un rôle essentiel car ils sont vos élus et donc l’intermédiaire légitime de l’expression des citoyens.
Pour moi, il n’y a pas de questions interdites. Nous ne serons pas
d’accord sur tout, c’est normal, c’est la démocratie. Mais au moins
montrerons-nous que nous sommes un peuple qui n’a pas peur de parler,
d’échanger, de débattre.
Et peut-être découvrirons-nous que nous pouvons tomber d’accord,
majoritairement, au-delà de nos préférences, plus souvent qu’on ne le
croit.
Je n’ai pas oublié que j’ai été élu sur un projet, sur de grandes
orientations auxquelles je demeure fidèle. Je pense toujours qu’il faut
rendre à la France sa prospérité pour qu’elle puisse être généreuse, car
l’un va avec l’autre. Je pense toujours que la lutte contre le chômage
doit être notre grande priorité, et que l’emploi se crée avant tout dans
les entreprises, qu’il faut donc leur donner les moyens de se
développer. Je pense toujours que nous devons rebâtir une souveraineté
industrielle, numérique et agricole et pour cela investir dans les
savoirs et la recherche. Je pense toujours qu’il faut rebâtir une école
de la confiance, un système social rénové pour mieux protéger les
Français et réduire les inégalités à la racine. Je pense toujours que
l’épuisement des ressources naturelles et le dérèglement climatique nous
obligent à repenser notre modèle de développement. Nous devons inventer
un projet productif, social, éducatif, environnemental et européen
nouveau, plus juste et plus efficace. Sur ces grandes orientations, ma
détermination n’a pas changé.
Mais je pense aussi que de ce débat peut sortir une clarification de
notre projet national et européen, de nouvelles manières d’envisager
l’avenir, de nouvelles idées.
À ce débat, je souhaite que le plus grand nombre de Français, le plus grand nombre d’entre nous, puisse participer.
Ce débat devra répondre à des questions essentielles qui ont émergé
ces dernières semaines. C’est pourquoi, avec le Gouvernement, nous avons
retenu quatre grands thèmes qui couvrent beaucoup des grands enjeux de
la Nation : la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisation de
l’État et des services publics, la transition écologique, la démocratie
et la citoyenneté. Sur chacun de ces thèmes, des propositions, des
questions sont d’ores et déjà exprimées. Je souhaite en formuler
quelques-unes qui n’épuisent pas le débat mais me semblent au cœur de
nos interrogations.
Le premier sujet porte sur nos impôts, nos dépenses et l’action publique.
L’impôt est au cœur de notre solidarité nationale. C’est lui qui finance
nos services publics. Il vient rémunérer les professeurs, pompiers,
policiers, militaires, magistrats, infirmières et tous les
fonctionnaires qui œuvrent à votre service. Il permet de verser aux plus
fragiles des prestations sociales mais aussi de financer certains
grands projets d’avenir, notre recherche, notre culture, ou d’entretenir
nos infrastructures. C’est aussi l’impôt qui permet de régler les
intérêts de la dette très importante que notre pays a contractée au fil
du temps.
Mais l’impôt, lorsqu’il est trop élevé, prive notre économie des
ressources qui pourraient utilement s’investir dans les entreprises,
créant ainsi de l’emploi et de la croissance. Et il prive les
travailleurs du fruit de leurs efforts. Nous ne reviendrons pas sur les
mesures que nous avons prises pour corriger cela afin d’encourager
l’investissement et faire que le travail paie davantage. Elles viennent
d’être votées et commencent à peine à livrer leurs effets. Le Parlement
les évaluera de manière transparente et avec le recul indispensable.
Nous devons en revanche nous interroger pour aller plus loin.
Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?
Nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique.
Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à faire ?
Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés
ou trop chers par rapport à leur utilité ? À l’inverse, voyez-vous des
besoins nouveaux de services publics et comment les financer ?
Notre modèle social est aussi mis en cause. Certains le jugent
insuffisant, d’autres trop cher en raison des cotisations qu’ils paient.
L’efficacité de la formation comme des services de l’emploi est souvent
critiquée. Le Gouvernement a commencé à y répondre, après de larges
concertations, à travers une stratégie pour améliorer notre santé, pour
lutter contre la pauvreté et contre le chômage.
Comment mieux organiser notre pacte social ? Quels objectifs définir en priorité ?
Le deuxième sujet sur lequel nous devons prendre des décisions, c’est l’organisation de l’État et des collectivités publiques.
Les services publics ont un coût, mais ils sont vitaux : école, police,
armée, hôpitaux, tribunaux sont indispensables à notre cohésion sociale.
Y a-t-il trop d’échelons administratifs ou de niveaux de
collectivités locales ? Faut-il renforcer la décentralisation et donner
plus de pouvoir de décision et d’action au plus près des citoyens ? À
quels niveaux et pour quels services ?
Comment voudriez-vous que l’État soit organisé et comment peut-il
améliorer son action ? Faut-il revoir le fonctionnement de
l’administration et comment ?
Comment l’État et les collectivités locales peuvent-ils
s’améliorer pour mieux répondre aux défis de nos territoires les plus en
difficulté et que proposez-vous ?
La transition écologique est le troisième thème, essentiel à notre avenir.
Je me suis engagé sur des objectifs de préservation de la biodiversité
et de lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air.
Aujourd’hui personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’agir vite.
Plus nous tardons à nous remettre en cause, plus ces transformations
seront douloureuses.
Faire la transition écologique permet de réduire les dépenses en
carburant, en chauffage, en gestion des déchets et en transports. Mais
pour réussir cette transition, il faut investir massivement et
accompagner nos concitoyens les plus modestes.
Une solidarité nationale est nécessaire pour que tous les Français puissent y parvenir.
Comment finance-t-on la transition écologique : par l’impôt, par les taxes et qui doit être concerné en priorité ?
Comment rend-on les solutions concrètes accessibles à tous, par
exemple pour remplacer sa vieille chaudière ou sa vieille voiture ?
Quelles sont les solutions les plus simples et les plus supportables sur
un plan financier ?
Quelles sont les solutions pour se déplacer, se loger, se
chauffer, se nourrir qui doivent être conçues plutôt au niveau local que
national ? Quelles propositions concrètes feriez-vous pour accélérer
notre transition environnementale ?
La question de la biodiversité se pose aussi à nous tous.
Comment devons-nous garantir scientifiquement les choix que nous
devons faire à cet égard ? Comment faire partager ces choix à l’échelon
européen et international pour que nos agriculteurs et nos industriels
ne soient pas pénalisés par rapport à leurs concurrents étrangers ?
Enfin, il est évident que la période que notre pays traverse
montre qu’il nous faut redonner plus de force à la démocratie et la
citoyenneté.
Être citoyen, c’est contribuer à décider de l’avenir du pays par
l’élection de représentants à l’échelon local, national ou européen. Ce
système de représentation est le socle de notre République, mais il doit
être amélioré car beaucoup ne se sentent pas représentés à l’issue des
élections.
Faut-il reconnaître le vote blanc ? Faut-il rendre le vote obligatoire ?
Quelle est la bonne dose de proportionnelle aux élections
législatives pour une représentation plus juste de tous les projets
politiques ?
Faut-il, et dans quelles proportions, limiter le nombre de parlementaires ou autres catégories d’élus ?
Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil Économique,
Social et Environnemental, doivent-elles jouer pour représenter nos
territoires et la société civile ? Faut-il les transformer et comment ?
En outre, une grande démocratie comme la France doit être en mesure d’écouter plus souvent la voix de ses citoyens.
Quelles évolutions souhaitez-vous pour rendre la participation citoyenne plus active, la démocratie plus participative ?
Faut-il associer davantage et directement des citoyens non élus, par exemple tirés au sort, à la décision publique ?
Faut-il accroître le recours aux référendums et qui doit en avoir l’initiative ?
La citoyenneté, c’est aussi le fait de vivre ensemble.
Notre pays a toujours su accueillir ceux qui ont fui les guerres, les
persécutions et ont cherché refuge sur notre sol : c’est le droit
d’asile, qui ne saurait être remis en cause. Notre communauté nationale
s’est aussi toujours ouverte à ceux qui, nés ailleurs, ont fait le choix
de la France, à la recherche d’un avenir meilleur : c’est comme cela
qu’elle s’est aussi construite. Or, cette tradition est aujourd’hui
bousculée par des tensions et des doutes liés à l’immigration et aux
défaillances de notre système d’intégration.
Que proposez-vous pour améliorer l’intégration dans notre Nation ?
En matière d’immigration, une fois nos obligations d’asile remplies,
souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels
définis par le Parlement ? Que proposez-vous afin de répondre à ce défi
qui va durer ?
La question de la laïcité est toujours en France sujet d’importants
débats. La laïcité est la valeur primordiale pour que puissent vivre
ensemble, en bonne intelligence et harmonie, des convictions
différentes, religieuses ou philosophiques. Elle est synonyme de liberté
parce qu’elle permet à chacun de vivre selon ses choix.
Comment renforcer les principes de la laïcité française, dans le
rapport entre l’État et les religions de notre pays ? Comment garantir
le respect par tous de la compréhension réciproque et des valeurs
intangibles de la République ?
Dans les semaines qui viennent, je vous invite à débattre pour
répondre à ces questions déterminantes pour l’avenir de notre Nation. Je
souhaite aussi que vous puissiez, au-delà de ces sujets que je vous
propose, évoquer n’importe quel sujet concret dont vous auriez
l’impression qu’il pourrait améliorer votre existence au quotidien.
Ce débat est une initiative inédite dont j’ai la ferme volonté de
tirer toutes les conclusions. Ce n’est ni une élection, ni un
référendum. C’est votre expression personnelle, correspondant à votre
histoire, à vos opinions, à vos priorités, qui est ici attendue, sans
distinction d’âge ni de condition sociale. C’est, je crois, un grand pas
en avant pour notre République que de consulter ainsi ses citoyens.
Pour garantir votre liberté de parole, je veux que cette consultation
soit organisée en toute indépendance, et soit encadrée par toutes les
garanties de loyauté et de transparence.
C’est ainsi que j’entends transformer avec vous les colères en solutions.
Vos propositions permettront donc de bâtir un nouveau contrat pour la
Nation, de structurer l’action du Gouvernement et du Parlement, mais
aussi les positions de la France au niveau européen et international. Je
vous en rendrai compte directement dans le mois qui suivra la fin du
débat.
Chères Françaises, chers Français, mes chers compatriotes, je
souhaite que le plus grand nombre d’entre vous puisse participer à ce
grand débat afin de faire œuvre utile pour l’avenir de notre pays.
En confiance,
Emmanuel MACRON