Je vous invite à lire Yves de Saint Jean:
J'ai relu récemment le chef-d’œuvre de Gustave Flaubert, « Madame Bovary ».
Le roman comporte plusieurs grandes scènes comme celles du fiacre, la visite du théâtre, le bal ou la noce.
Celle consacrée aux comices est certainement une des plus longues de l'ouvrage.
Flaubert
y a consacré beaucoup de soin et d'énergie. Il a manifesté le désir
d'assister à des comices pour y puiser les éléments essentiels et
nécessaires à l'écriture comme s'il s'agissait, pour lui, de répondre à
une ambition réaliste en s'intéressant à la société dans sa globalité.
Il
n'était pas un chaud partisan de ce type d'événement. Dans une lettre
du 18 juillet 1852 à Louise Collet, sa maîtresse, il écrit : « ce matin,
j'ai été à un comice agricole, dont je suis revenu mort de fatigue et
d'ennui. J'avais besoin de voir une de ces ineptes cérémonies rustiques
pour ma Bovary...»
Dans ce sublime roman qui paraîtra d'abord en 1856 dans la « Revue de Paris »
fondée par Maxime Du Camp, Flaubert, le bûcheron de l'écriture, se
livre à une virulente satire de la bourgeoisie et du monde politique de
l'époque dans la lignée de Balzac, le visionnaire qui avait abordé le
même sujet dans son roman « La femme de trente ans ».
Il
y traduit dans un style merveilleux toute une société et les mœurs
provinciales. Il restitue l'état d'esprit du public, l'atmosphère de la
fête en s'attachant aux moindres détails, personnages et animaux sont
devant nous : « je suis sûr de ma couleur et de bien des effets »
écrit-il à Louise Collet dans une lettre du 18 juillet 1853.
C'est
à Yonville, village fictif de Normandie, où se sont installés Emma et
son mari Charles Bovary, qu'ont lieu les comices agricoles. L'écrivain
se serait inspiré du village de Ry en Seine-Maritime.
Voici
un bref extrait suivi du discours d'un conseiller de la préfecture, M.
Lieuvain, délégué par le Préfet pour le représenter. Discours prononcé
sur le parvis de la mairie devant toute la population de la ville et des
environs.
«... Ils
arrivèrent , en effet, ces fameux comices ! Dès le matin de la
solennité, tous les habitants, sur leurs portes, s'entretenaient des
préparatifs ; on avait enguirlandé de lierre le fronton de la mairie ;
une tente dans un pré était dressée pour le festin, et au milieu de la
place, devant l'église, une espèce de bombarde devait signaler l'arrivée
de M. le Préfet et le nom des cultivateurs lauréats...
...Cependant
le pré commençait à se remplir, et les ménagères vous heurtaient avec
leurs grands parapluies, leurs paniers et leurs bambins. Souvent il
fallait se déranger devant une longue file de campagnardes, servantes en
bas bleus, à souliers plats, à bagues d'argent, et qui sentaient le
lait quand on passait près d'elles... »
...Lieuvain venait de s'essuyer la bouche avec son mouchoir de poche. Il reprit :
« Et
qu'aurais-je à faire, messieurs, de vous démontrer ici l'utilité de
l'agriculture ? Qui donc pourvoit à nos besoins ? Qui donc fournit à
notre subsistance ? N'est-ce pas l'agriculteur ? L'agriculteur,
messieurs, qui, ensemençant d'une main laborieuse les sillons féconds
des campagnes, fait naître le blé, lequel, broyé, est mis en poudre au
moyen d'ingénieux appareils, en sort sous le nom de farine, et, de là,
transporté dans les cités, est bientôt rendu chez le boulanger, qui en
confectionne un aliment pour le pauvre comme pour le riche. N'est-ce pas
l'agriculteur encore qui engraisse, pour nos vêtements, ses abondants
troupeaux dans les pâturages ? Car comment nous vêtirions-nous, car
comment nous nourririons-nous sans l'agriculteur ?...
...Continuez
! Persévérez ! N'écoutez ni les suggestions de la routine ni les
conseils trop hâtifs d'un empirisme téméraire ! Appliquez-vous surtout à
l'amélioration du sol, aux bons engrais, au développement des races
chevaline, bovine, ovine et porcine ! Que ces comices soient pour vous
comme des arènes pacifiques où le vainqueur, en en sortant, tendra la
main au vaincu et fraternisera avec lui, dans l'espoir d'un succès
meilleur ! Et vous vénérables serviteurs, humbles domestiques, dont
aucun gouvernement jusqu'à ce jour n'avait pris en considération les
pénibles labeurs, venez recevoir la récompenses de vos vertus
silencieuses, et soyez convaincus que l’État, désormais a les yeux fixés
sur vous, qu'il vous encourage, qu'il vous protège, qu'il fera droit à
vos justes réclamations et allégera, autant qu'il est en lui, le fardeau
de vos pénibles sacrifices... »
Le
dessin aquarellé, intitulé « le comice agricole » qui illustre cet
article est de Charles-Henri Pille né en 1848 à Essôme -sur-Marne et
mort à Paris en 1897. Il est connu pour ses peintures d'histoire et ses
scènes de genre souvent teintées d'humour. Apprécié de Vincent Van Gogh,
il est surtout réputé pour ses dessins à la plume. Il publie dans la
revue « Le chat noir » et illustre une trentaine d'ouvrages dont : « Les
œuvres d'Alfred de Musset » chez Alphonse Lemerre en 1876, « Les Contes
de Perrault » chez le même éditeur en 1880, « Quentin Durward » de
Walter Scott à la librairie Firmin Didot ou « Notre Dame de Paris » de
Victor Hugo en 1886 encore chez Alphonse Lemerre etc....
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