jeudi 24 août 2017

Yves de Saint Jean au Comice de Chenu

Après 9 ans d'absence, dans quelques jours, les 26 et 27 août, aura lieu le comice à Chenu, notre village. Au cours de mes rencontres, j'ai glané ici ou là des paroles d'anciens que j'ai notées dans mon carnet bleu. Je n'ai pu résister, dans mon dernier livre, « Le Grand Chambardement » à décrire un possible comice qui se serait déroulé il y a quelques années, à l'heure où la mécanisation n'avait pas encore envahi nos campagnes. 

 

On pourra me retrouver sur mon stand les 26 et 27 août prochains où je me ferais un plaisir de dédicacer mon livre « Le Grand Chambardement ».

En voici un extrait :
« …Ce samedi matin, le village se réveille dans un fracas de roues de charrettes, d'appels, de beuglements et de hennissements. Ça crie, ça gueule. Éleveurs, artisans, producteurs s'interpellent, vont et viennent chacun à la recherche de son emplacement.  A 9 heures, 250 bovins, 105 chevaux de trait ou de selle, juments diligencières ainsi que tout le matériel agricole sont en place. Les bêtes sont lavées, tondues, bichonnées. Les chevaux ont la crinière et la queue tressées de rubans rouge, couleur du percheron. Les sabots, nettoyés, sont passés à la graisse.
Les animaux sont attachés par section, le nez tourné vers la ficelle depuis le veau jusqu'à la vache de dix ans en passant par la génisse portante. Toutes ces bêtes magnifiques, alignent confusément leurs croupes inégales dans un chatoiement de couleurs.
Outre les chevaux et les vaches, on y présente aussi ânes, poneys, taureaux, bœufs, porcs, volailles, chèvres et moutons. Tous les produits des terroirs sont là : miel, légumes, vins, œufs, fromages et charcuterie…
On y expose et vend de la vannerie, des poteries, des harnais, des cordages, de la vaisselle, des vêtements, des chaussures, des oiseaux en cage, des machines agricoles, des furets et même des cochons d’Inde.
Un veau a perdu sa mère et suit la jument percheronne du gars Léon.
Gustave s'en amuse :
« Léon, C'est ti qu'ta jument aurait fait un veau ?
« Rien d'étonnant mon gars Gustave, ta mère elle a bien fait un âne ». Gustave n'insiste pas.
A 11h30, le cortège officiel arrive avec Monsieur le Préfet dans une Chenar et Walker rutilante. Sénateur, député, conseiller général, directeur de la chambre d'agriculture, vétérinaires, maires des communes environnantes sont arrivés par le train ou en carrioles. La plupart sont accompagnés de leurs épouses ou de charmantes jeunes filles aux corsages ajustés et bien chapeautées.
Pour tous ces personnages, être présent lors de la fête d'un comice est indispensable et nombre d'élus locaux en font, dans leur carrière politique, une étape intermédiaire entre la mairie et le conseil général.
Le cortège a suivi le programme en visitant les stands un à un. Chacun admire, goûte, soupèse, questionne, plaisante.
Le forgeron, Célestin, travaille devant les officiels une pièce en fer forgé qu'il offre à Monsieur le Préfet. Avec des airs de connaisseurs, on s'est permis de tâter le cul des vaches qui ruminent lentement en clignant des paupières.
On s'extasie devant les nouvelles moissonneuses-lieuses, barattes et charrettes. Le cheval est encore roi même si l'automobile conquiert un peu d'espace et on admire les stands Peugeot et Citroën qui présentent une Rosalie et une C4G. On peut même monter dedans.
L'incorrigible Albert, toujours en quête d'une nouvelle conquête a jeté son dévolu sur une charmante jeunette, beau « petit poulet de grain », la peau du visage tavelée de son, peu farouche au demeurant qui accompagne le conseiller général. Avec sa voix de charmeur, il lui a proposé de tester le confort et le moelleux des bottes de paille de seigle et de blé entassées aux abords du champ de foire.
L'affaire fut rondement menée.
Dans sa précipitation à vouloir rejoindre le cortège qui s'approche de l'estrade, la « donzelle », le bibi de travers, a coincé sa robe dans sa culotte laissant découvrir une cuisse et une fesse d'une blancheur immaculée.
Quelques vieux monocles en tombent de surprise et on a frôlé le scandale quand une bande de mioches dont fait partie l'inévitable Gérard, entonnent tous en cœur : « On a vu sa culotte ! On a vu sa culotte !
Une bonne amie, comprenant la situation, arrive à la rescousse. D'un geste vif et précis, elle remet les choses en place. Le brin de paille a disparu des cheveux et le bibi retrouve sa position d'origine.
Un petit sourire rassure le conseiller général. Ouf !
« Y paraît que l'apéritif est offert par Byrrh ? »
La rumeur est rapidement confirmée et à l'heure des discours, il y a plus de monde sur l'estrade que devant ; quelques personnes mais surtout vaches, veaux, cochons et chèvres.
« Heureusement, tous nos fans sont encore là ! » glisse avec humour le sénateur à son ami député.  Albert écoute d'une oreille distraite. Il ne croit pas aux boniments de ces politiciens qui vous enseignent comment vendre des patates alors qu'ils ne savent même pas comment pousse un radis.
Son escapade, c'est sa petite vengeance.
Pendant tout ce temps, entre les rangées d'animaux, des messieurs avancent d'un pas lourd. Ils examinent chaque animal et se consultent à voix basse, d'un simple geste ou d'un regard. Ce sont les juges, des agriculteurs des cantons avoisinants qui ont suivi une formation pour expertiser et noter chaque animal.
Sur les champs de la Moussardière, on a commencé le concours de labour. Jacquot s'y est inscrit. Dans le village, une délégation parcourt les rues pour noter les maisons fleuries, les jardins et les boutiques.
Moment festif, le comice rassemble les communautés villageoises en provenance de l'ensemble du canton. Fanfares, pompiers, estrade ornée, jeux, feu d'artifice, repas, c'est un lieu de divertissement et de sociabilité rurale intense.
Le banquet officiel enfin et surtout fait partie de cette convivialité. A ce moment, Monsieur le Maire se lance dans un discours mais se perd dans ses feuilles et bafouille des phrases incompréhensibles. Il l'avait pourtant répété toute la semaine en lisant à haute voix ses textes aux vaches dans l'étable. Le député sauve l'affaire en le remerciant chaleureusement de son accueil. Et puis les discours, tout le monde s'en fiche. L'important c'est ce qu'il y a dans l'assiette et le verre. On boit, on se régale. On est là pour prendre du plaisir. Potage tapioca, Anguille sauce tartare, Bouchées à la Reine, Poularde de la Flèche, Filet de bœuf Richelieu, Gigot d'agneau, Flageolets maître d'hôtel, Salade, fromages, Crème vanille, Biscuit de Savoie, Coupe de fruits, Café - liqueurs, Vins de pays rouge et blanc
Dans les allées et entre les stands on trinque et on avance au nez, le fumet est franc, agréable et parfumé : saucisses, gigots et grillades.
La foule est dense, discute, s'informe, fait des affaires. Lucien a commandé une charrette à Louis, il passera à l'atelier. La buvette est débordée.
En fin de journée, le palmarès des concours est proclamé.
Pour le fermier, l'éleveur, le serviteur, la bonne, le charretier, l'honneur d'être proclamé à haute voix et de recevoir la récompense au milieu de tous les cultivateurs du canton est aussi puissant que l'argent dont se compose le prix. Le comice peut rapporter à chaque gagnant plusieurs centaines de francs, parfois l'équivalent de un ou deux ans de salaire pour un cochon, une jument ou un légume mieux présenté que celui du voisin. Pour tous ceux qui sont présents aux concours, le chiffre de la prime n'est rien mais la manière dont elle est remise fait tout. La cocarde que l'on accroche à l'oreille de sa vache et la plaque qui sera clouée sur la porte de l'écurie est la reconnaissance d'un amour du travail bien fait.
Jacquot termine deuxième du concours de labour et gagne 125 francs. C'est Laurent, des Bourdillots qui remporte la charrue brabant de marque Melotte à deux versoirs basculants. Gilbert, de la Tuile est récompensé par un premier prix pour ses vaches normandes et empoche 250 francs.
La journée se termine par un feu d'artifice et un grand bal.  Le comice est une véritable assemblée, un spectacle authentique, un lieu d'échanges et de rencontres.
Les gars et les filles ont tous leur chance « il n'y a pas de si vilain pot qui ne trouve son couvercle » dit-on.
Jeanne a rejoint Jacquot.
« Il a tout pour lui. C'est une fille qui n'sait jamais déplacée. On pourrait bin être de noces pas tard ! » commentent les anciens.
C'est ce soir là que Jacquot a fait sa demande et Jeanne a dit oui.
La fête touche à sa fin. Les animaux sont repartis, les stands sont vides. Les premières gouttes d'un orage font leur apparition comme si le ciel versait quelques larmes de regrets après deux jours placés sous le signe de la solidarité, de la convivialité et de l'entraide.
Il faut maintenant faire place nette. Une dizaine de personnes de la commune vont y consacrer plusieurs journées.
Gilbert, de la Tuile est revenu récupérer la vache qu'il a oubliée. Il cherche ses sabots qu'il avait enlevés hier soir pour danser. Un peu éméché, on l'avait surpris entrain de chanter à tue-tête dans les allées de la foire :
  • « J'fais pipi sur l'gazon,
  • Pour embêter les coccinelles !
  • J'fais pipi sur l'gazon,
  • Pour embêter les papillons ! »
  • ...
  •  
…... A suivre
« Le Grand Chambardement » en dédicace les 26 et 27 août prochains sur mon stand du comice.

 

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