Après 9 ans d'absence, dans quelques jours, les 26 et 27 août, aura lieu le comice à Chenu, notre village. Au cours de mes rencontres, j'ai glané ici ou là des paroles d'anciens que j'ai notées dans mon carnet bleu. Je n'ai pu résister, dans mon dernier livre, « Le Grand Chambardement » à décrire un possible comice qui se serait déroulé il y a quelques années, à l'heure où la mécanisation n'avait pas encore envahi nos campagnes.
On pourra me retrouver sur mon stand les 26 et 27 août prochains où je me ferais un plaisir de dédicacer mon livre « Le Grand Chambardement ».
En voici un extrait :
«
…Ce samedi matin, le village se réveille dans un fracas de roues de
charrettes, d'appels, de beuglements et de hennissements. Ça crie, ça
gueule. Éleveurs, artisans, producteurs s'interpellent, vont et viennent
chacun à la recherche de son emplacement. A 9 heures, 250 bovins, 105
chevaux de trait ou de selle, juments diligencières ainsi que tout le
matériel agricole sont en place. Les bêtes sont lavées, tondues,
bichonnées. Les chevaux ont la crinière et la queue tressées de rubans
rouge, couleur du percheron. Les sabots, nettoyés, sont passés à la
graisse.
Les
animaux sont attachés par section, le nez tourné vers la ficelle depuis
le veau jusqu'à la vache de dix ans en passant par la génisse portante.
Toutes ces bêtes magnifiques, alignent confusément leurs croupes
inégales dans un chatoiement de couleurs.
Outre
les chevaux et les vaches, on y présente aussi ânes, poneys, taureaux,
bœufs, porcs, volailles, chèvres et moutons. Tous les produits des
terroirs sont là : miel, légumes, vins, œufs, fromages et charcuterie…
On
y expose et vend de la vannerie, des poteries, des harnais, des
cordages, de la vaisselle, des vêtements, des chaussures, des oiseaux en
cage, des machines agricoles, des furets et même des cochons d’Inde.
Un veau a perdu sa mère et suit la jument percheronne du gars Léon.
Gustave s'en amuse :
« Léon, C'est ti qu'ta jument aurait fait un veau ?
« Rien d'étonnant mon gars Gustave, ta mère elle a bien fait un âne ». Gustave n'insiste pas.
A
11h30, le cortège officiel arrive avec Monsieur le Préfet dans une
Chenar et Walker rutilante. Sénateur, député, conseiller général,
directeur de la chambre d'agriculture, vétérinaires, maires des communes
environnantes sont arrivés par le train ou en carrioles. La plupart
sont accompagnés de leurs épouses ou de charmantes jeunes filles aux
corsages ajustés et bien chapeautées.
Pour
tous ces personnages, être présent lors de la fête d'un comice est
indispensable et nombre d'élus locaux en font, dans leur carrière
politique, une étape intermédiaire entre la mairie et le conseil
général.
Le cortège a suivi le programme en visitant les stands un à un. Chacun admire, goûte, soupèse, questionne, plaisante.
Le
forgeron, Célestin, travaille devant les officiels une pièce en fer
forgé qu'il offre à Monsieur le Préfet. Avec des airs de connaisseurs,
on s'est permis de tâter le cul des vaches qui ruminent lentement en
clignant des paupières.
On
s'extasie devant les nouvelles moissonneuses-lieuses, barattes et
charrettes. Le cheval est encore roi même si l'automobile conquiert un
peu d'espace et on admire les stands Peugeot et Citroën qui présentent
une Rosalie et une C4G. On peut même monter dedans.
L'incorrigible
Albert, toujours en quête d'une nouvelle conquête a jeté son dévolu sur
une charmante jeunette, beau « petit poulet de grain », la peau du
visage tavelée de son, peu farouche au demeurant qui accompagne le
conseiller général. Avec sa voix de charmeur, il lui a proposé de tester
le confort et le moelleux des bottes de paille de seigle et de blé
entassées aux abords du champ de foire.
L'affaire fut rondement menée.
Dans
sa précipitation à vouloir rejoindre le cortège qui s'approche de
l'estrade, la « donzelle », le bibi de travers, a coincé sa robe dans sa
culotte laissant découvrir une cuisse et une fesse d'une blancheur
immaculée.
Quelques
vieux monocles en tombent de surprise et on a frôlé le scandale quand
une bande de mioches dont fait partie l'inévitable Gérard, entonnent
tous en cœur : « On a vu sa culotte ! On a vu sa culotte !
Une
bonne amie, comprenant la situation, arrive à la rescousse. D'un geste
vif et précis, elle remet les choses en place. Le brin de paille a
disparu des cheveux et le bibi retrouve sa position d'origine.
Un petit sourire rassure le conseiller général. Ouf !
« Y paraît que l'apéritif est offert par Byrrh ? »
La
rumeur est rapidement confirmée et à l'heure des discours, il y a plus
de monde sur l'estrade que devant ; quelques personnes mais surtout
vaches, veaux, cochons et chèvres.
«
Heureusement, tous nos fans sont encore là ! » glisse avec humour le
sénateur à son ami député. Albert écoute d'une oreille distraite. Il ne
croit pas aux boniments de ces politiciens qui vous enseignent comment
vendre des patates alors qu'ils ne savent même pas comment pousse un
radis.
Son escapade, c'est sa petite vengeance.
Pendant
tout ce temps, entre les rangées d'animaux, des messieurs avancent d'un
pas lourd. Ils examinent chaque animal et se consultent à voix basse,
d'un simple geste ou d'un regard. Ce sont les juges, des agriculteurs
des cantons avoisinants qui ont suivi une formation pour expertiser et
noter chaque animal.
Sur
les champs de la Moussardière, on a commencé le concours de labour.
Jacquot s'y est inscrit. Dans le village, une délégation parcourt les
rues pour noter les maisons fleuries, les jardins et les boutiques.
Moment
festif, le comice rassemble les communautés villageoises en provenance
de l'ensemble du canton. Fanfares, pompiers, estrade ornée, jeux, feu
d'artifice, repas, c'est un lieu de divertissement et de sociabilité
rurale intense.
Le
banquet officiel enfin et surtout fait partie de cette convivialité. A
ce moment, Monsieur le Maire se lance dans un discours mais se perd dans
ses feuilles et bafouille des phrases incompréhensibles. Il l'avait
pourtant répété toute la semaine en lisant à haute voix ses textes aux
vaches dans l'étable. Le député sauve l'affaire en le remerciant
chaleureusement de son accueil. Et puis les discours, tout le monde s'en
fiche. L'important c'est ce qu'il y a dans l'assiette et le verre. On
boit, on se régale. On est là pour prendre du plaisir. Potage
tapioca, Anguille sauce tartare, Bouchées à la Reine, Poularde de la
Flèche, Filet de bœuf Richelieu, Gigot d'agneau, Flageolets maître
d'hôtel, Salade, fromages, Crème vanille, Biscuit de Savoie, Coupe de
fruits, Café - liqueurs, Vins de pays rouge et blanc
Dans
les allées et entre les stands on trinque et on avance au nez, le fumet
est franc, agréable et parfumé : saucisses, gigots et grillades.
La
foule est dense, discute, s'informe, fait des affaires. Lucien a
commandé une charrette à Louis, il passera à l'atelier. La buvette est
débordée.
En fin de journée, le palmarès des concours est proclamé.
Pour
le fermier, l'éleveur, le serviteur, la bonne, le charretier, l'honneur
d'être proclamé à haute voix et de recevoir la récompense au milieu de
tous les cultivateurs du canton est aussi puissant que l'argent dont se
compose le prix. Le comice peut rapporter à chaque gagnant plusieurs
centaines de francs, parfois l'équivalent de un ou deux ans de salaire
pour un cochon, une jument ou un légume mieux présenté que celui du
voisin. Pour tous ceux qui sont présents aux concours, le chiffre de la
prime n'est rien mais la manière dont elle est remise fait tout. La
cocarde que l'on accroche à l'oreille de sa vache et la plaque qui sera
clouée sur la porte de l'écurie est la reconnaissance d'un amour du
travail bien fait.
Jacquot
termine deuxième du concours de labour et gagne 125 francs. C'est
Laurent, des Bourdillots qui remporte la charrue brabant de marque
Melotte à deux versoirs basculants. Gilbert, de la Tuile est récompensé
par un premier prix pour ses vaches normandes et empoche 250 francs.
La
journée se termine par un feu d'artifice et un grand bal. Le comice
est une véritable assemblée, un spectacle authentique, un lieu
d'échanges et de rencontres.
Les gars et les filles ont tous leur chance « il n'y a pas de si vilain pot qui ne trouve son couvercle » dit-on.
Jeanne a rejoint Jacquot.
« Il a tout pour lui. C'est une fille qui n'sait jamais déplacée. On pourrait bin être de noces pas tard ! » commentent les anciens.
C'est ce soir là que Jacquot a fait sa demande et Jeanne a dit oui.
La
fête touche à sa fin. Les animaux sont repartis, les stands sont vides.
Les premières gouttes d'un orage font leur apparition comme si le ciel
versait quelques larmes de regrets après deux jours placés sous le signe
de la solidarité, de la convivialité et de l'entraide.
Il faut maintenant faire place nette. Une dizaine de personnes de la commune vont y consacrer plusieurs journées.
Gilbert,
de la Tuile est revenu récupérer la vache qu'il a oubliée. Il cherche
ses sabots qu'il avait enlevés hier soir pour danser. Un peu éméché, on
l'avait surpris entrain de chanter à tue-tête dans les allées de la
foire :
- « J'fais pipi sur l'gazon,
- Pour embêter les coccinelles !
- J'fais pipi sur l'gazon,
- Pour embêter les papillons ! »
- ...
…... A suivre
« Le Grand Chambardement » en dédicace les 26 et 27 août prochains sur mon stand du comice.
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